La vie éternelle, le pouvoir de décider du sort du monde, l’existence dans le ciel, un culte voué à sa propre personne…

Etre un dieu ou une déesse, c’est bien sympathique et ça apportait plein d’avantages. Mais comme le dit le fameux dicton : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Une leçon qui s’établissait également pour les êtres divins. Alania, déesse mère des Elfes de feu ne connaissait que trop bien cette règle. Elle s’évertuait à faire passer ses vertus à travers ses fidèles du monde entier. Le courage, la stratégie guerrière, la ténacité, la magie… Voilà ses maîtres mots, son karma, sa façon de vivre. Et surtout, le respect des règles qu’elle s’était imposée. Une limite à ne pas franchir. En permanence, elle savait ce qu’elle pouvait se permettre de faire et ce qui lui était tout bonnement interdit ou inaccessible. Jamais elle n’osait s’aventurer plus profondément dans certains domaines. Pourtant, elle était une déesse et n’avait pas grand-chose à craindre. Simplement, elle respectait une ligne de conduite. Sa ligne de conduite.

C’est en hommage à ses valeurs légendaires, que, debout du haut de son rocher, elle observait la dernière représentante des Elfes de feu ; là, en contrebas de la montagne. Alania la voyait faire et agir depuis quelques jours maintenant. Elle avait eu le temps de remarquer plusieurs choses, de prendre quelques notes… Ce qui ressortait de ces dernières, c’était que la principale intéressée était fortement contrariée à cause d’une personne ; sans doute dû à son passé et à l’extinction de tout son peuple. Un traumatisme à vie. Mais ça devait se passer de cette manière. Les hautes instances de ce monde l’avaient vu comme ça, ils l’avaient décidé, rédigé… Elle devait vivre, ils devaient disparaître. Il a fallu faire un compromis. Au risque de la voir sombrer à jamais dans un désespoir incommensurable. Mais ils l’avaient deviné forte et étaient satisfaits de constater qu’ils ne s’étaient pas trompés dans leur choix. Elle s’entrainait des heures durant… Là où d’autres se seraient écroulés d’épuisement, elle, elle tenait la cadence. Malgré tout, elle restait quelqu’un de fatigable. Une ancienne blessure qui finit par se rouvrir pour rappeler à l’ordre l’épéiste ; la faisant gémir, crier, se débattre, survivre… La déesse n’intervenait toujours pas. L’instant de la délivrance n’était pas encore arrivé.

Puis elle tomba, inconsciente. Ce n’était pas encore totalement terminé. Alania fixait, avec un air indifférent, le corps inerte de l’Elfe de feu. La cendre du volcan commençait à recouvrir la peau mate de l’Elfe. Quelques secondes passèrent… Une infime partie du temps par rapport à l’immensité de l’espace. Quelques secondes… Pendant lesquelles elle reprenait conscience peu à peu. Avant de retomber dans les abîmes de l’inconscience. Fatidiquement, le moment pour elle approchait… Silencieusement, la déesse se leva gracieusement et marcha sans bruit en direction de l’Elfe encore allongée à même le sol cendré. Seul le léger froissement de ses vêtements allait trahir sa présence mais peu lui importait, elle n’était pas là pour agresser sa compatriote. La déesse ne bougea pas d’un membre quand elle se releva d’un bond ; la lame en avant, prête à être utilisée. Mais elle n’en ferait rien face à elle. L’être divin eut un sourire amical quand elle lui demanda qui elle était. Voyons la réponse, elle la savait déjà. Il n’y avait pas beaucoup de personne qui était habillée de vêtements aussi fins, arborant les couleurs des feuilles, d'un pantalon ayant la couleur brune du tronc des arbres, aucune arme pourtant et d’une magnifique couronne de feuilles, signe de son lien profond avec Ilnuël. Peu était également naturellement aussi svelte et élancée qu’elle avec des cheveux d’un vert léger. Oui, elle avait revêtu son apparence la plus réaliste. La plus divine.

« Tu sais qui je suis. Je viens te guider… T’annoncer pourquoi tu es celle qui devait survivre à ce génocide… Pourquoi toi et pas un autre. Parce que tu possèdes une force immense en toi. Tu as un destin hors du commun comme seulement quelques autres personnes… Tu es différente de tous tes amis disparus. Il s’agit de la triste vérité… Lyanëael Minami. »

A aucun moment, Alania ne broncha. Elle aurait même pu rire au nez de l’Elfe si cette dernière n’avait pas fait partie de son peuple et si elle n’était pas descendue pour lui annoncer ce que serait sa vie dans les prochaines années. Le magma qui grondait ne l’inquiétait nullement. Elle pouvait toujours tenter de lancer une attaque ; la déesse la repousserait sans trop d’effort. Mais elle n’attaquerait pas. Parce qu’elle n’avait aucune raison de le faire… La déesse attendit patiemment quelques minutes supplémentaires que Lyanëael se calme et prenne réellement conscience de la personne qui se trouvait en face d’elle. Sa réponse n’était pas agressive mais elle en disait bien long sur ses ressentis. La déesse savait bien de qui elle parlait et elle n’avait probablement pas tort en avançant tout cela mais à quoi bon ? Quoiqu’elle en dise, pourquoi lui aussi était également resté en vie, ça ne la regardait pas. Alania n’était pas descendue de son nuage pour cette raison. Gardant un calme et une impassibilité olympienne, elle prit un peu de temps supplémentaire pour répondre à ses remarques.

« Lui, c’est encore un autre cas… Mais nous ne sommes pas là pour nous en occuper. Je suis contente de constater que tu ne m’as pas oubliée. Cependant, j’ai bien plus important à te dire et qui, j’en suis certaine, devrait t’intéresser tout particulièrement. C’est ça le sujet de ma visite aujourd’hui. Ça et rien d’autre. »

La déesse avait elle aussi répondu sur un ton calme. Elle tenait à clarifier certaines choses ; pas à envenimer la situation qui était déjà bien assez délicate ainsi. L’Elfe prit une sage décision en rangeant son épée. Ça lui éviterait de faire un geste qu’elle regretterait certainement par la suite. Elle se mit plutôt à croiser les bras tout en arborant un regard empli à la fois de tristesse, de colère, de haine probablement… C’était sans aucun doute sa source vitale ; son alimentation. Mais dès aujourd’hui, sa vie allait prendre un tout autre tournant et elle aurait peut-être une autre raison de garder la vie sauve. Alania fit ce qu’elle avait à faire sans même prendre garde à l’air blasé de sa compatriote. Voilà qu’elle étaient maintenant les yeux dans les yeux.

« Nous ne décidons pas de tout, certaines choses sont écrites depuis la nuit des temps… Mais soit. Je vais aller droite au but pour ne pas te faire perdre du temps inutilement… Tu es une Gardienne. »

Elle s’arrêta un instant ; le temps que la nouvelle puisse être digérée convenablement. Quand elle jugea que c’était suffisant et qu’elle était prête à en entendre davantage, elle poursuivit ses explications.

« La Gardienne de la lave… Il y en a douze comme toi. Chacun représentant évidemment un élément bien différent. Vous êtes choisis par une grande force grâce à des choses uniques qui se trouvent au plus profond de votre être. Votre destin est grand quoique tu puisses en dire. Vous êtes amenés à faire de grands exploits qui resteront indubitablement dans les esprits. La lave que tu affectionnes tant… C’est TON élément. Apprends à le connaître, apprends à le comprendre, ne cherche pas à le maîtriser… Joue avec lui, ne faites qu’un… Et il deviendra ton plus puissant et fervent allié ; personne ne te battra dans ce domaine. »

Elle n’était peut-être pas très intéressée par ce qu’Alania lui disait mais ça importait peu. Elle faisait son travail et si l’Elfe ne voulait pas prendre en compte ses paroles, c’était son problème. Elle jouait la personne complètement désintéressée ; qui n’en avait strictement rien à faire. Mais à un moment ou à un autre, elle serait bien forcée de s’intéresser à cette partie d’elle pour avancer dans sa vie. Tôt ou tard… La déesse était extrêmement patiente. Elle ne s’énerverait pas. Elle comptait simplement attendre que la réalité apparaisse aux yeux de Lyanëael. De plus, elle sentait qu’elle commençait à piquer dans le vif des sujets qui intéressaient particulièrement sa compatriote. Et même devant sa réponse volontairement bâclée, elle resta parfaitement de marbre. Alania n’était pas venue là pour corriger une Elfe de feu mal-élevée. Elle était là pour lui parler de son futur rôle dans la société de demain. Rien de plus. Rien de moins.

Dans la suite de ses mots, elle reprit un peu de sérieux tout en refermant l’une de ses mains sur la garde de sa dague. La déesse ne bougea toujours pas ; attendant de voir ce qu’elle avait l’intention d’en faire. Elle sourit intérieurement en constatant qu’elle n’allait pas tenter quelque chose qu’elle regretterait mais… Que c’était plus ou moyen pour elle de parvenir à dire ce qu’elle pensait devant la déesse. Alania attendit patiemment ; sans même prendre garde au soupir qu’elle laissa volontairement échapper. Soudain, elle se lâcha. Tout le monde avait besoin d’aide à un moment ou à un autre… Souvent, c’était ceux qui croyaient être les plus puissants et les plus résistants qui, en réalité, étaient le plus dans le besoin. Et l’Elfe de feu ne faisait guère exception à cette règle même si le fait qu’elle ait détourné son regard était une preuve suffisante de sa culpabilité. Alors oui, Alania allait lui donner un coup de main et non des moindres. Cependant, ce serait le seul. Après, ça devrait être à elle de chercher. Elle en était capable.

« Je vais te donner mon aide en te guidant vers une personne qui saura t’aiguiller sur tout cela. D’ailleurs, je crois que tu la connais… Une vieille connaissance qui t’a déjà sauvé la vie. Elle s’appelle Azelma Von Venceslas. C’est aussi une gardienne qui a été mise au courant de sa situation il y a de cela plusieurs années par Lenaëlle si ma mémoire est bonne. Elle a donc bien plus d’expérience que toi dans le métier et saura très certainement comment t’épauler. »

Voilà, c’était dit. Toutefois, Alania n’en avait pas totalement fini à ce sujet. Il y avait une dernière chose qu’elle devait savoir. Quelque chose qui devrait l’intéresser et qu’elle prendrait très probablement en compte dans son avenir relativement proche.

« Tes responsabilités et tes capacités t’octroient l’occasion de rappeler au monde entier que les Elfes de feu ne sont pas tous morts, que leur héritage n’a pas disparu et qu’ils sont toujours aussi nobles. Accomplie ce qu’il faut pour cela et redore le blason de notre ancienne civilisation. »

Cette fois-ci, Alania laissa apparaître un large sourire. Elle savait pertinemment qu’un Elfe de feu ne s’inclinait pas sans une très très bonne raison. Après tout, même si elle était une déesse, elle restait également une Elfe de ce peuple avant tout. Alors oui elle savait. Elle savait que le respect et la loyauté de Lyanëael seraient indéfectibles. Les Elfe de feu plaisantaient avec beaucoup de sujets mais pas avec l’honneur. Le sourire de la déesse ne faillit pas lorsque sa compatriote posa le genou sur le sol ; penchant légèrement la tête vers l’avant. Elle s’apprêtait à faire quelque chose que les gens de leur peuple ne faisaient que très peu de fois dans leur longue vie. Prêter un serment. Preuve de leur respect sans faille.

Elle allait désormais se battre encore plus pour son peuple mais aussi pour le reste du monde. Alania n’avait aucun doute sur la réussite de sa mission. Elle lui faisait confiance. Son peuple, elle allait le représenter aux yeux des différentes ethnies peuplant cette terre et elle leur montrerait qu’ils sont toujours présents et bien ancrés dans ce monde ; que la tragédie qui les avait frappés  ne les avait pas changés pour autant. Oui, elle était bien capable d’accomplir cette tâche en plus d’assumer son très important rôle de Gardienne.

« Le phénix renaît toujours de ses cendres… Tu réussiras, j’en suis certaine. Tu sais ce qu’il te reste à faire. Va, trouve Azelma, apprends de sa part… Et tu seras récompensée. »

La déesse n’avait plus rien à ajouter. Le message était passé. Toujours avec cette même légèreté, elle tourna gracieusement les talons, fit quelques pas en marchant tout droit avant de disparaître subitement laissant le vent porter ces quelques mots au creux des oreilles de la nouvelle gardienne.

L’avenir de ton peuple est entre tes mains…

Spoiler: