Steven marchait depuis des heures, fuyant la terre des Gemnikaä sur lesquelles il avait commis un meurtre. Bien sûr, on le lui avait commandé, et il avait reçu sa récompense, mais il valait toujours mieux quitter rapidement les lieux d'un crime. Question de prudence et de survie.

Les pas incertains du Lycan le menèrent à Halanë, chez les Elfes Sylvains. Steven ne s'était pas encore changé, et sa cape était couverte de sang : il avait du se battre au corps à corps avec sa victime, et la poignarder pour mettre fin au combat. Heureusement pour lui, il ne croisa personne, et ne fut pas interpellé par qui que ce soit.

Une seule idée obstruait ses pensées : se laver. Cela devait faire une bonne semaine qu'il n'avait pas pu le faire, faute de temps, et son travail n'était pas des plus propre. Il savait qu'il existait un lac chez les Elfes, alors il avait décidé de s'y rendre.


Steven se fraya un chemin de force à-travers les broussailles épaisses, se faisant écorcher à certains endroit, mais il ne sentit qu'à peine la douleur tant la fatigue était grande. Enchaîner meurtres sur meurtres, ce n'était pas facile, aussi bien physiquement que moralement. Le Lycan était à bout. Finalement, la vue se dégagea et révéla un magnifique lac qui brillait de milles feux sous la lumière ardente du soleil. Steven ne put retenir un hoquet de surprise, suivit d'un léger sanglot. Même après toutes les atrocités qu'il avait commises, même s'il est un être difforme, la nature lui pardonnait et lui offrait ce qu'elle avait comme s'il était quelqu'un de normal. Un sentiment de gratitude enserra le coeur de l'assassin.

Le Lycan s'approcha doucement du bord du lac, presque solennellement, et contempla son reflet dans l'eau semblable à un miroir tant elle était limpide et pure. Steven put voir son visage après une semaine de travail. Il était sale, et des plaques de sang séché - qui, pour une grande majorité, ne lui appartenait pas - le recouvrait. Pas un poil signalant le début d'une barbe. L'Hermaphrodite soupira, las, et enleva sa cape. Il faudrait qu'il pense à la laver, elle aussi. Mais il passait d'abord. L'assassin regarda autour de lui, histoire d'être sûr qu'il n'y avait personne, et finit de se déshabiller pour ensuite rentrer dans l'eau avec délice. Elle était chaude en plus ! Mais il resterait assis près du bord, on ne sait jamais. Ce lac appartenait quand même aux Elfes, et qui sait quel genre de sorts ils auraient pu lancé pour rendre l'eau dangereuse pour les étrangers !

Malheureusement, sa joie fut de courte durée. En voyant le sang qui se diluait dans l'eau autour de lui, il ne put s'empêcher de se sentir mal. Steven répugnait à tuer. Il détestait ça. Mais Sterben lui disait que c'était ce qu'il devait faire s'il voulait devenir le Gardien de la Mort.
Est-ce vraiment ce que je veux ?
Il inspira profondément avant de plonger sa tête sous l'eau, et la nettoya, pour en enlever le sang. Il remonta à la surface lorsque l'air vint à lui manquer. Il baissa les yeux et vit que ses mains étaient rouges.
Hmm ? Pourtant, le sang coagulé est marron ! Et ça ne peut pas venir de mon visage ...
Sans se poser plus de questions, il frotta ses mains sous l'eau. Il remarqua au bout d'un moment que le sang ne partait pas. Il les frotta encore plus fort. Toujours rien. Steven commença à paniquer.



Cesse donc tes gamineries, ce n'est rien.



Sterben ne répondit pas. Steven ferma alors les yeux, désespéré, suppliant mentalement son compagnon d'infortune de l'aider. Et lorsqu'il rouvrit les yeux, ses mains étaient propres, pas une seule trace du liquide poisseux et écarlate. Steven ignorait comment Sterben réussissait ce genre de tour de magie, mais il arrivait toujours à exhausser ses souhaits.

Encore chamboulé par la vision qu'il avait eu, le Lycan leva la tête vers le ciel, et se mit à contempler les nuages. Les regarder l'apaisait toujours ...

Steven regardait les nuages avec un air absent. Ces nuages, ces beaux nuages, ces jolies nuages ... Ronds, tout en douceur, blancs, roses, bleus, indigos ... Quelles irisations ! Les gens les comparaient sans cesse avec des moutons, à tel point que s'en est devenu un cliché. Mais Steven n'était pas d'accord. Il avait déjà vu et caressé des moutons (merci aux gentils fermiers) et il pouvait parfaitement affirmer que les nuages ne ressemblaient dans la texture à ces bestioles. Le Lycan était plutôt de l'avis de voir les nuages comme de la crème, pas tout-à-fait fouettée, mais presque. Il avait faim rien qu'en les regardant. Tient, à quand remontait la dernière fois qu'il avait mangé ? Toujours autant plongé dans sa réflexion sans réelle logique, Steven ne remarqua pas l'humain qui s'était glissé près de lui. Jusqu'à ce que le nouveau venu prenne la parole :



Steven sursauta violemment, une expression horrifiée sur le visage, hurlant intérieurement de terreur. Trop choqué pour faire ou dire quoique ce soit, il n'entendit même pas la moitié de que l'humain avait dit, tout juste quelques "bizarre", "idée", "truc", "chasser", "fillette", "nom" et un "je - baignais- aussi". Ces derniers mots étaient de loin les plus terribles. Par habitude, dans un geste futile de défense, Steven se recroquevilla sur lui-même et fit en sorte que ses cheveux cache un maximum de son corps difforme, effrayé par la réaction de l'autre s'il découvrait qu'il était différent, dans le sens, très différent. Complètement paralysé, il était aussi vulnérable qu'un chiot. Sterben vint alors le "réveiller".
Steven, calme-toi. Dis-lui ton nom.
Le Lycan déglutit difficilement et obéit sagement.



Répondit finalement la pauvre, faible chose.

Le corps de Steven continuait à trembler comme une feuille et, malgré le fait que son visage soit caché par ses longs cheveux couleur corbeau, il put remarquer le sourire avenant de l'inconnu. Cependant, cela ne suffit pas à le mettre en confiance. De toute manière, il ne pouvait faire confiance à personne, sauf à Sterben. Soudain, l'homme couvrit ses yeux de ses mains et se mit dos à lui. Steven ne comprit pas ce que cela signifiait. Il se contenta d'hausser un sourcil dans l'incompréhension.



Ah. Il voulait lui parler ? Steven, lui, n'en avait pas envie. Enfin, dans tout les cas, à présent qu'il avait le dos tourné, c'était le moment de s'enfuir. Steven inspira plusieurs fois, jusqu'à ce que qu'il se calme, et sortit de l'eau doucement, très doucement, gardant ses yeux de sang fixés sur l'inconnu, prêt à se cacher ou à déguerpir s'il se retournait. Steven atteignit finalement ses vêtements au bout de ce qu'il lui sembla des heures, et enfila rapidement la cape par sécurité : elle était tellement grande -elle était à la taille de Sterben- qu'elle pourrait l'abriter du regard de l'autre s'il lui jetait un coup d’œil. Il termina ensuite de s'habiller tout aussi rapidement qu'il avait mis la cape et s'apprêtait à s'enfuir. Mais Sterben l'interpella.
Steven, ne me dit pas que tu comptes t'enfuir ?



Imbécile, tue-le ! Ils nous a vu. Nous sommes des assassins, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des témoins. Je l'ai vu loucher sur le sang de nos vêtements.
Steven trembla légèrement. Sterben avait raison. Le Lycan passa sa main sur sa ceinture et attrapa son poignard. Il aimait beaucoup son arme. Elle était magnifique. Sa lame, en alliage d'argent renforcé, était à double tranchant et très légèrement crantée, ce qui était très utile pour éventrer l'ennemi. Le pommeau, quant à lui, était en ivoire, mais le sang avait souillé sa couleur de lait pour la rendre rougeâtre. Steven resserra sa prise sur l'arme et s'avança lentement derrière l'inconnu. Le Lycan se plaça juste au niveau du coeur, qu'il espérait atteindre par le dos. Alors qu'il s'apprêtait à planter la lame dans la chair, la proie prit la parole :



Steven lâcha l'arme aussitôt. L'inconnu venait de le complimenter. Il aimait bien son nom. Personne ne le lui avait dit auparavant.
STEVEN ! Que fais-tu ?! Tue-le !
Le Lycan secoua négativement la tête. Il ne tuerait pas un homme aussi gentil, même s'il semblait ... bizarre. L'hermaphrodite se sentait toujours coupable de se penser à cela. Il était l'être étrange, après tout, et personne d'autre. Il décida alors de répondre à l'autre, ignorant royalement l'arme à ses pieds et les cris rageurs de Sterben.



Sa voix avait été bien plus douce qu'il ne s'y attendait. Et même un peu innocente. Steven n'avait jamais eu d'amis, et cet homme semblait amical. Il l'avait laisser s'habiller, non ?
Urgh, tu fais les yeux doux aux autres, maintenant ?